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Chronique

Le vol perdu – Malév 240

La disparition tragique du Tupolev hongrois TU-154 HA-LCI à 10 km au nord-ouest de Beyrouth est toujours restée entourée de mystère. Le vol a-t-il pu servir de couverture pour l’envoi d’armes amenant l’avion à être délibérément abattu ?

Le 29 Septembre 1975, il est 23h10 à Budapest. L’autorisation de décoller de l’aéroport de Budapest Ferihegy (LHBP) pour le vol MALÉV 240 à destination de Beyrouth est finalement donné après plusieurs modifications de l’horaire de départ. Tout au long de la journée, il avait semblé que le vol serait annulé, car les conditions sécuritaires à Beyrouth n’étaient pas assurées, l’aéroport même ne pouvait pas être contacté. Le pays est alors en guerre et les services au sol pas toujours garantis. La plupart des compagnies aériennes ont suspendu leurs vols à destination du Liban. Ce vol est équipé d’un réservoir plein de carburant et devra recharger quelque part sur le voyage de retour. Les conditions météorologiques sont parfaites et l’avion lui-même est récent. Il a été livré il y a un an par Aeroflot (numéro de construction 74A-053, immatriculation précédente CCCP-85053).

Le 30 septembre, à 02h33, le vol MALÉV 240 quitte l’espace aérien chypriote et entre en contact avec le contrôle aérien libanais. Il y a encore environ vingt minutes jusqu’à l’arrivée et l’avion est a reçu la consigne de descendre à 6000 pieds, avec autorisation de débarquer. Selon un documentaire de la télé hongroise TV2, l’avion aurait reçu à ce moment là une autre consigne provenant d’une source indéterminée lui joignant l’ordre de maintenir le vol en attente, juste avant de disparaitre à jamais des écrans radar. L’avion venait de s’écraser en mer.

Aucune déclaration officielle détaillée concernant l’accident n’a jamais été effectuée. Il semblerait que l’enquête promulguée ultérieurement ait été faite à des fins de procédures.

La part de mystère

Trois semaines après l’accident, des articles parus dans les quotidiens hongrois ont relaté que « la découverte, le sauvetage et l’analyse de l’enregistreur de vol pour aider à établir la cause de la catastrophe, est peu probable ».

L’enquête internationale qui portait en grande partie sur les questions d’assurance, attribue dans son rapport, l’incident tragique à « une explosion d’origine inconnue ». Ce verdict a ainsi satisfait l’intérêt de toutes les parties, y compris celui de la compagnie aérienne hongroise elle-même. La compensation d’assurance pour la perte de l’avion n’aurait pas été possible si des faits avaient liés l’incident à la situation géopolitique ou aux combats qui se déroulaient dans la région.

La compagnie aérienne a maintenu des services réguliers de transport de passagers à un moment où la plupart des autres compagnies aériennes n’opéraient plus sur Beyrouth en raison de la guerre civile. Certes, la volonté de gagner des parts de marché en transportant les passagers des compagnies aériennes rivales qui ont quitté Beyrouth pouvait justifier cette décision. Mais le fait est que le nombre de passagers n’a jamais été élevée sur ces vols. Lors de cette nuit fatale, l’avion fonctionnait avec plus des deux tiers des sièges vide.

Servir dans l’aviation civile était un privilège et permettait d’obtenir un certain statut. La selection dépendait de procédures strictes et contraignantes. Un seul refus de voler s’est produit dans l’histoire de la compagnie aérienne, et c’était sur le vol de Beyrouth en question. Le second officier Károly Kvasz aurait prédit à son épouse qu' »il ne reviendrait jamais…». L’équipage de vol 240 en savait-il assez pour supposer que le vol de cette nuit serait dangereux?

László Németh, le mari d’une hôtesse à bord du vol fatal a rappelé pour TV2 comment la police lui a demandé de ne « pas poser de questions maintenant ou à l’avenir, et de garder le silence ».

Beaucoup de speculations ont donc entouré la perte du vol 240.

La piste du convoi d’arme

Malgré le faible nombre de passagers, les vols vers Beyrouth étaient parmi les plus rentables que Malév exploitait alors. L’hypothèse voudrait que le manque de passagers soit compensé par le trafic de fret. Inévitablement, des questions ont été posées sur la nature des envois réalisés – en particulier sur ce que contenaient entre autres les caisses mystérieusement appelées «cubes de sucre» qui étaient souvent parait-il chargées dans des parties de la cabine passagers.

Il semble que la plupart de ces caisses provenaient de la firme technique Vidéoton ainsi que du fabricant d’armes et d’appareils FÉG. Les formalités administratives étaient généralement complétées par la Société technique du commerce extérieur – connue pour son engagement dans les transactions d’armes. Il est donc probable que le fret à destination de Beyrouth ait été composé de divers équipements et matériels qui auraient pu être utilisés par des forces paramilitaires. András Fülöp, pilote en chef de Malév en 1975, a admis qu’il avait lui-même transporté plusieurs fois ces cargaisons au bord de vols Malév. Pál Galeta a déclaré avoir vu des caisses être déchargés sur HA-LCI de trois ou quatre véhicules militaires couverts.

La piste militaire

Il est également vrai que jusqu’à un an après la perte du vol 240, Malév avait un rôle militaire. La compagnie était officiellement classé «escadron M», ce qui signifiait qu’en cas de guerre, les avions civils de Malév pouvaient être utilisés comme transports militaires et logistiques. Tous les membres clés du personnel de Malév étaient officiellement des réservistes de l’armée. Quelques jours avant la catastrophe, en septembre 1975, plusieurs membres du personnel avaient reçus des médailles et des promotions.

La piste de l’assassinat ciblé

Il ne fait aucun doute aussi que des combattants palestiniens blessés dans les combats au Liban ont été ouvertement transportés à Budapest par Malév où ils ont reçu des soins médicaux. Des bases en Hongrie étaient même utilisées pour former les guérillas de l’OLP. Et Carlos, le terroriste international, était un visiteur assidu de la Hongrie.

Le transport de tous ces passagers pourrait servir à expliquer la fréquence et l’entretien des vols à destination de Beyrouth.

La veille de l’accident, l’OLP avait ouvert son bureau de représentation à Budapest. Au moment de l’ouverture du bureau de l’OLP, vingt fonctionnaires de haut rang de l’OLP se trouvaient à Budapest. Il paraitrait que la raison pour laquelle l’avion avait été retardé à plusieurs reprises ce jour là était dûe à l’absence de certaines personnes qui devaient être à bord. Que ces personnes aient été présentes ou pas au final, il est clair qu’ils étaient attendus pour être dans l’avion.

Le magazine HVG qui a pu accéder à la documentation du Comité international d’enquête fait état de l’autopsie de seul six victimes libanaises notées parmi les morts.

La piste de la défaillance mécanique

Le contrôle de Beyrouth a été incapable de fournir l’enregistrement des échanges entre la tour et l’avion. Selon la déclaration officielle faite à l’époque, la conversation finale entre Malév 240 et Beyrouth n’a pas été enregistrée. Au début, il semblait qu’il n’y avait pas de bande, mais il est rapidement apparu que ce n’était pas le cas, et que seule une chaîne radio n’a pas été enregistrée en raison d’un problème technique avec l’équipement. Or c’est sur ce canal que Beyrouth et 240 ont communiqué.

En l’absence de l’enregistreur de vol 240, l’enquête internationale repose donc uniquement sur la mémoire du contrôleur aérien en service.

Najib Abou Jabber, qui était de service cette nuit, a précisé que rien de banal n’a été signalé lors de sa dernière conversation avec l’équipage. Lorsqu’il voulut donner d’autres instructions quelques minutes plus tard, il n’a pas été capable de repérer l’avion. La nuit de l’accident il n’y avait pas de radar opérationnel dans la tour de contrôle – seulement une radio. En septembre, l’aérodrome avait été gravement endommagé avec la plupart des bâtiments détruits par les combats, qui avaient été centrés sur elle. Un avion en attente de décollage avait même été frappé au niveau du cockpit.

L’hypothèse d’une défaillance mécanique repose en grande partie sur le fait que selon l’ATC, l’équipage n’a pas envoyé d’appel de détresse, alors qu’ils auraient eu largement le temps de faire le cas échéant.

La piste de l’explosion en vol

Des témoins oculaires ont indiqués qu’une grande explosion s’est produite.

L’hypothèse que cette explosion ait été déclenché par une bombe (un dispositif anéroïde aurait pu être activé par le changement de pression à mesure que l’avion descendait) ou que la cargaison suspecte ait pu exploser par elle-même, ne peut pas être écartée.

La piste du missile

L’hypothèse que l’avion ait été frappé accidentellement par un projectile ou un missile a également été étudiée en raison de la position de l’avion au dessus de la mer, loin de Beyrouth.

Le pilote en chef Fülöp rappelle comment lui et le nouveau président de Malév, qui ont effectué une visite officieuse à Beyrouth des mois plus tard, ont appris par les officiers de contrôle aériens à qui ils ont parlé hors enregistrement, qu’une croyance était répandue sur le fait que l’avion de Malév avait été abattu. Ce sur quoi cette opinion a été fondée reste incertain, mais il se trouve que Malév a également émis la même conclusion à l’époque.

Les parties hongroise et libanaise admettaient donc officieusement que l’avion a été victime d’une agression extérieure. La seule question qui reste alors est précisément de savoir comment et pourquoi.

La piste de l’attentat

Les rumeurs ont indiqués qu’Israël connaissait le contenu des envois et a averti la Hongrie par plusieurs intermédiaires au sujet de l’arrêt de tels vols. Il est probable que des avertissements semblables ont également été faits immédiatement avant l’ouverture du bureau de l’OLP à Budapest.

Pour appuyer  la connexion avec l’OLP, un Il-62 tchécoslovaque (OK-DBF) a été perdu dans des circonstances semblables, quarante jours auparavant seulement, à 10 milles au nord-est de Damas, juste après l’ouverture des bureaux de l’OLP de Prague. Est-ce qu’un avion israélien a-t-il pu abattre le Tupolev, ou ne serait-ce qu’une coïncidence ?

Les Syriens étaient eux aussi en «guerre» avec l’OLP, et les avions MIG ont bombardé les camps palestiniens au Liban. Serait-ce un avion syrien qui a abattu le vol HA-LCI?

D’autres explications alternatives ont également été avancées.

Cette période a été la plus turbulente de l’histoire de l’OLP. Les relations entre les divers groupes qui composaient l’organisation avaient atteint un point de frictions tel, qu’il a entraîné une scission entre le groupe Fatah, dirigé par Arafat, qui poussait pour une solution diplomatique, et le groupe Abou Nidal, qui favorisait la lutte violente. L’intense rivalité avait abouti à des combats violents entre les différents factions, ainsi qu’à une condamnation à mort prononcée contre Abou Nidal (en l’absence d’Arafat) et à l’assassinat de plusieurs chefs de groupe des deux côtés. Il est possible que si le vol de Malév était effectivement considéré comme transportant du personnel de l’OLP, il se pourrait avoir été pris au piège de ce combat interne. Il n’est pas impossible que l’une ou l’autre des parties ait pu tirer sur l’avion à partir d’un bateau de pêche. Les conditions météorologiques et la visibilité ayant étét parfaites ce jour-là.

D’autres groupes avaient également des raisons suffisantes pour souhaiter un affaiblissement du pouvoir de l’OLP établit au Liban. Le mouvement Kataeb dirigé par Pierre Jemayel qui combattait l’OLP aurait pu chercher à affaiblir les dirigeants de l’OLP et, en même temps, couper une partie de l’approvisionnement en armes du groupe.

Des questions se sont posées quant à savoir si les deux principaux types de lance-roquettes portables disponibles pour l’une ou l’autre des forces au sol auraient pu causer suffisamment de dégâts à l’avion pour provoquer une explosion instantanée, à la fois le Redeye et le Strela-2 Ne disposent que d’une ogive de 1 kg – ce qui, bien sûr, aurait suffi à enflammer les cargaisons d’armes.

La piste de l’avion de chasse

Diffusé sur TV2, et sous couvert d’anonymat, une source a témoigné que l’incident a été surveillé sur le radar haute résolution Olympus de la base de la Royal Air Force Akrotiri sur Chypre. Elle a décrit comment ils ont vu l’avion de Malév ombragé par un deuxième avion. HA-LCI a reçu un dégagement, mais est ensuite retourné à la configuration d’attente. C’est à ce moment qu’un missile – ou série de missiles – a été tiré du deuxième avion non identifié et a frappé le Tupolev sur le côté tribord.

Dans une déclaration officielle aux producteurs, la RAF a nié les allégations selon lesquelles ils possédaient une telle information. Que les revendications soient vraies ou non, c’est précisément parce que la source a choisi de rester anonyme qu’il est impossible de creuser ces questions ou de vérifier les dires. Si le témoignage est pris à sa juste valeur, cela laisse probablement la version israélienne ou syrienne comme solution probable. Les témoins oculaires ont juste entendu une explosion et vu un panache de feu plongeant dans la mer. La vue d’un avion de chasse derrière la carcasse du TU-154 aurait-elle pu être couverte ? Il est aussi probable que les témoins oculaires n’aient regardé le ciel qu’au moment même de l’explosion.

Il y a de bonnes raisons de supposer que des armes étaient à bord ainsi que des membres de l’OLP. Il est probable que l’un ou l’autre de ces facteurs ait été un motif suffisamment fort pour que plusieurs groupes puissent vouloir détruire l’aéronef, et tous pouvaient avoir été en mesure d’exécuter leur plan.

Certaines questions auraient pu être éclairées si l’épave avait été retrouvée – au moins sur le contenu de la cargaison. Mais les questions autour du vol 240 resteront à jamais enfuit dans un silence eternel.